Tenir notre promesse d’une éducation universelle
En investissant dans l’éducation, en particulier dans celle des enfants pris dans une crise ou un conflit, nous investissons dans un avenir meilleur.
Co-signé par : Ignazio Cassis, conseiller fédéral de la Confédération suisse ; Svenja Schulze, ministre fédérale de la coopération économique et du développement, Allemagne ; Ibrahim Natatou, ministre de l’éducation nationale, Niger ; Anne Beathe Tvinnereim, ministre du développement international, Norvège ; Awut Deng Acuil, ministre de l’éducation générale et de l’instruction, Soudan du Sud ; Alejandro Gaviria, ministre de l’éducation, Colombie ; le très honorable Gordon Brown, ancien premier-ministre du Royaume-Uni, envoyé spécial des Nations Unies pour l’éducation mondiale et président du groupe de pilotage de haut niveau de l'ECW.
Alors que nous célébrons la Journée internationale de l’éducation, les dirigeants mondiaux doivent tenir leur promesse d’assurer une éducation de qualité pour tous d’ici 2030.
En œuvrant pour l’éducation, nous investissons dans la paix là où il y a la guerre, dans l’égalité là où il y a l’injustice, dans la prospérité là où il y a la pauvreté.
Ne nous y trompons pas, la crise mondiale de l’éducation menace de réduire à néant des décennies de progrès en matière de développement, de déclencher de nouveaux conflits et de compromettre le progrès économique et social dans le monde.
Comme l’a souligné le secrétaire général de l’ONU António Guterres lors du Sommet sur la transformation de l’éducation organisé l’an dernier : « Si nous voulons transformer notre monde d’ici 2030 comme le prévoient les objectifs de développement durable, alors la communauté internationale doit accorder à cette crise (de l’éducation) l’attention qu’elle mérite. »
Lorsque Éducation sans délai (Education Cannot Wait, ECW), le Fonds mondial des Nations Unies pour l’éducation dans les situations d’urgence et de crise prolongée, a été créé en 2016, nous estimions que 75 millions d’enfants touchés par des crises avaient besoin d’un soutien éducatif. Aujourd’hui, ce nombre a triplé pour atteindre 222 millions.
Sur les 222 millions d’enfants qui ont été privés de leur droit à l’éducation par les effets multipliés des conflits, du changement climatique et d’autres crises prolongées, quelque 78 millions sont déscolarisés, soit plus que la population totale de la France, de l’Italie ou du Royaume-Uni.
Même lorsqu’ils sont scolarisés, de nombreux enfants n’acquièrent pas les compétences minimales en lecture ou en mathématiques. Pensez à cette donnée statistique effrayante : 671 millions d’enfants et d’adolescents dans le monde ne savent pas lire. Cela représente plus de 8 % de la population mondiale totale. C’est une génération entière qui risque d'être perdue.
Comme nous l’avons vu, nous vivons dans un monde interconnecté, ce dont témoignent la guerre en Ukraine, les défis de la migration vénézuélienne vers la Colombie et l’Amérique du Sud, le refus impardonnable d’éducation pour les jeunes filles en Afghanistan, ou la sécheresse dévastatrice due au changement climatique qui a créé une grave crise de la faim pour 22 millions de personnes dans la Corne de l’Afrique. Il ne s’agit pas simplement de problèmes propres à l’Afrique, au Moyen-Orient, à l’Europe de l’Est, à l’Amérique du Sud ou à l’Asie centrale – ce sont en fait autant de problèmes collectifs qui se posent à ce monde que nous partageons tous.
Chaque minute, jour après jour, des enfants fuient la violence et la persécution, par exemple au Myanmar, au Sahel, en Amérique du Sud et au Moyen-Orient. Chaque minute, jour après jour, des garçons sont recrutés comme enfants soldats en Somalie, en République centrafricaine et ailleurs dans le monde. Chaque minute, jour après jour, la crise climatique nous rapproche de la fin des temps, et des enfants ont faim parce qu’on leur refuse le droit d’aller à l’école – où ils pourraient recevoir leur seul repas de la journée. Et dans un contexte de conflit, de migration et de changement climatique, des gouvernements comme celui de la Colombie se battent pour assurer les conditions de vie et d’éducation les plus élémentaires aux enfants vivant dans des zones frontalières difficiles d’accès.
De telles situations sont une atteinte à notre humanité, une offense aux promesses contraignantes énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, et un recul gigantesque dans les efforts que nous menons – envers et contre tout – pour parvenir à la paix à notre époque.
Il y a de l’espoir. En adoptant une nouvelle méthode de travail et en faisant preuve de rapidité dans leur action humanitaire et de profondeur dans leur approche du développement, ECW et ses partenaires stratégiques ont atteint 7 millions d’enfants en cinq ans seulement, et prévoient d’en atteindre 20 millions de plus au cours des quatre prochaines années.
Mais que signifie l’éducation pour un enfant de la guerre ? En République démocratique du Congo, Nyota, âgée de 13 ans, a perdu son père et ses frères lors d’une attaque brutale contre son village. La maison de sa famille a été réduite en cendres.
Dans un pays où 3,2 millions d’enfants sont déscolarisés, l’avenir de Nyota était sombre. Serait-elle une enfant mariée, une victime de violence sexuelle, une donnée statistique tragique dans une crise oubliée ?
Non. Nyota n’a pas baissé les bras. Avec le soutien d’un programme innovant financé par ECW, Nyota est retournée à l’école. « Je rêve de devenir présidente de mon pays quand j’aurai terminé mes études, afin de mettre fin à la guerre ici. Cela permettra aux enfants d’étudier en paix et de ne pas endurer les mêmes choses horribles que moi. »
Nyota n’est pas seule : nous avons reçu des lettres passionnantes de filles et de garçons vivant dans plus de 20 pays touchés par une crise, qui soulignent le rôle incroyable que joue l’éducation pour transformer des vies et créer un avenir meilleur pour les générations à venir.
Les 16 et 17 février, des dirigeants mondiaux se réuniront à Genève pour la conférence de haut niveau sur le financement d’Éducation sans délai. Accueillie par ECW et la Suisse – et co-organisée par la Colombie, l’Allemagne, le Niger, la Norvège et le Soudan du Sud –, la conférence offre aux dirigeants mondiaux, aux entreprises, aux fondations et aux grandes fortunes de la planète l’occasion de faire leur part pour que nous puissions tenir notre promesse d’une éducation pour tous. L’objectif est de lever 1,5 milliard de dollars pour les quatre prochaines années.
En tant que co-hôtes et co-organisateurs de cet évènement majeur, nous appelons les peuples du monde à investir dans la promesse d’une éducation. C’est le meilleur investissement que nous puissions faire pour atteindre les objectifs de développement durable.
Nyota et des millions d’enfants comme elle ne renoncent pas à leurs rêves, et nous ne devons pas non plus y renoncer. Nous avons des promesses à tenir.